samedi 31 mars 2012

DE LA NÉCESSITÉ D’UNE APPROCHE ACTIONNELLE - Guy Vandenbroucke


Commençons cet exposé par un rapide calcul pour rappeler quelques évidences. Dans la plupart des lycées, le programme d’enseignement des langues s’étend sur 120 heures par an en moyenne. Imaginons de manière très optimiste un scénario où votre classe de langue typique compte 10 élèves. Sur une heure que dure la leçon, vous souhaitez partager équitablement le temps de parole parmi vos étudiants et vous leur attribuez donc à chacun 6 minutes par classe. Sur toute l’année scolaire, chacun(e) de vos élèves aura donc la possibilité de parler 12 heures (6 minutes par leçon pendant 120 leçons par an).
Ce tableau idyllique mérite cependant quelques retouches. Tout d’abord, rares sont les leçons qui comptent 60 minutes productives : il faut laisser aux élèves le temps de s’installer, il faut de temps en temps administrer des examens et il faut peut-être expliquer et corriger les devoirs.  Estimons dès lors avec le même optimisme qu’une classe est productive à 90%. Nos 12 heures annuelles deviennent donc un peu moins de 11 onze heures. Cependant, ce calcul fait abstraction de votre temps de parole à vous, l’enseignant. En bons défenseurs d’une pédagogie active où le professeur guide davantage qu’il n’enseigne, soyons généreux et imaginons que l’enseignant se réserve seulement un quart du temps d’instruction et laisse les trois quarts restants aux élèves. Nous en sommes donc à 11 heures fois 75%, c’est-à-dire à peine plus de 8 heures. Ensuite, vous n’avez probablement pas pour objectif unique l’expression orale et vous souhaitez également consacrer du temps à l’expression écrite, la compréhension orale et la compréhension écrite. Il faut donc refaire le calcul en divisant le résultat obtenu par les 4 compétences linguistiques que vous voulez développer, soit 8heures divisées par 4 : 2 heures...
Cette petite démonstration toute simple n’a qu’un seul but ; rappeler à l’enseignant mais surtout à l’étudiant, aux parents et à l’administration de votre établissement qu’une classe de langue accorde à chaque étudiant 2 petites heures annuelles de participation dans chacune des compétences langagières, ce qui signifie qu’une instruction efficace doit impérativement s’accompagner d’une prise en charge autonome - et hors classe - par l’étudiant. C’est dans ce contexte que l’approche actionnelle s’inscrit en méthodologie non seulement souhaitée mais aussi nécessaire. Appelée également « pédagogie par tâches », l’approche actionnelle encouragée par le CECR[1] aide l’enseignant à rentabiliser au maximum le temps d’instruction à l’école et incite l’étudiant à compenser ce temps d’instruction scolaire par un travail autonome à la maison. Selon la jolie formule de Dominique Le Ray[2], il s’agit « d’apprendre à agir » et « d’agir pour apprendre ». En d’autres termes, l’apprentissage d’une langue va bien au-delà de l’acquisition statique du lexique et de quelques notions de grammaire ; il s’inscrit dans un besoin de communication dans le but d’accomplir une tâche. L’accent sur le communicatif a été privilégié dans les méthodes de langues dès les années ’70, en réaction à une approche structuro-globale jugée trop rigide et peu authentique. Cependant, le « tout au communicatif » a frustré plus d’un enseignant et d’un étudiant qui se demandaient l’un et l’autre à quoi aboutissait vraiment cette communication confinée dans la salle de classe et donc bien souvent réduite à une simulation, parfois simple prétexte à une ré-exploitation déguisée du lexique et de la grammaire. L’approche actionnelle essaie de répondre au défi que constitue d’emblée une classe de langue : comment donner du sens à une interaction en langue-cible opérée par des apprenants qui, peut-être, ne quitteront jamais leur pays et n’auront donc pas l’occasion de communiquer avec des « natifs » de cette langue ? La réponse est simple : il faut que la langue devienne un outil et non un objet d’étude. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’entraîner l’élève à exprimer une série d’hypothèses pour pouvoir pratiquer le conditionnel en français mais d’enseigner les rudiments du conditionnel pour permettre à l’élève d’accomplir une tâche donnée. Les tâches, qui constituent l’essence de l’instruction, sont de deux types : les micro-tâches où l’apprenant s’exerce à identifier, imiter puis diversifier des énoncés répondant à un objectif précis (désir, besoin, argumentation, émotion...) et la tâche finale, celle qui conclut l’unité d’apprentissage et au cours de laquelle l’élève réinvestit ce qu’il a appris : le degré de réussite dans l’accomplissement de la tâche définit le degré de compétence atteint par l’apprenant.
Prenons un cas concret emprunté à « Rond-Point »[3], une des premières méthodes FLE se revendiquant de l’approche actionnelle. Dans l’unité « Ça sert à tout » (niveau A2 du CECR), l’élève analyse une série de documents pour se forger une idée de la manière dont on décrit un objet utilitaire et ses fonctions en français. A la fin de l’unité, après avoir été engagé dans une série d’activités signifiantes (toute activité invitant à agir est jugée « signifiante »), l’élève accomplit la tâche finale. On lui propose une série de petits problèmes de la vie quotidienne susceptibles d’être résolus par une nouvelle invention. Par exemple, les gens portant des lunettes n’aiment pas cuisiner car la buée sur les verres est ennuyeuse ! Il appartient à un groupe d’élèves de parer à ce problème en concevant le schéma d’une invention qui mettra fin au tourment de la cuisinière à lunettes... Chaque groupe présente son invention en décrivant ses caractéristiques et son fonctionnement. Si les élèves constituant le public ont bien compris à quoi ressemble et à quoi sert l’objet présenté par leurs camarades, c’est que ces derniers ont réutilisé de manière satisfaisante le bagage linguistique faisant l’objet de l’unité.
Pour conclure : une des manifestations les plus remarquables de l’approche actionnelle est illustrée par le projet pédagogique[4] entrepris par les participants à la Revue du Monde animée par les enseignants aussi bien que les élèves. Les élèves participants se servent de la langue pour agir, qu’il s’agisse de s’informer sur les cultures auxquelles ils s’intéressent ou de livrer à leurs interlocuteurs des informations sur leur propre culture. Voilà un exemple où l’utilisation de la langue prend place bien au-delà des quatre murs de la classe pour répondre à des objectifs clairement désignés dans des situations de communication authentiques. Le temps de classe, dont on a vu dans l’introduction de cet article qu’il était extrêmement réduit, se voit valorisé par une rentabilisation maximale où l’apprenant prend en charge son apprentissage mais aussi par un prolongement des activités en dehors du cadre scolaire. L’approche actionnelle se veut utile autant qu’utilitaire puisqu’elle peut déboucher sur des projets interdisciplinaires et interculturels, comme l’atteste l’expérience de la Revue du Monde. Comme l’explique Christian Rodier[5], le passage de l’approche communicative à l’approche actionnelle illustre un changement radical de perspective où l’usager de la langue est pensé en termes d’acteur social et non plus d’apprenant.


[1] Cadre européen commun de référence pour les langues
[2] L’approche actionnelle, Domi’s Web, http://domisweb.free.fr/cadre/index.php/tasks/index
[3] Rond Point 2, Difusión, 2004

[5] La perspective actionnelle : évolution ou révolution ?, Christian Rodier, http://www.edufle.net/La-perspective-actionnelle.html

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