Commençons cet exposé par un rapide calcul pour rappeler
quelques évidences. Dans la plupart des lycées, le programme d’enseignement des
langues s’étend sur 120 heures par an en moyenne. Imaginons de manière très
optimiste un scénario où votre classe de langue typique compte 10 élèves. Sur
une heure que dure la leçon, vous souhaitez partager équitablement le temps de
parole parmi vos étudiants et vous leur attribuez donc à chacun 6 minutes par
classe. Sur toute l’année scolaire, chacun(e) de vos élèves aura donc la
possibilité de parler 12 heures (6 minutes par leçon pendant 120 leçons par
an).
Ce tableau idyllique mérite cependant quelques retouches.
Tout d’abord, rares sont les leçons qui comptent 60 minutes productives :
il faut laisser aux élèves le temps de s’installer, il faut de temps en temps
administrer des examens et il faut peut-être expliquer et corriger les devoirs.
Estimons dès lors avec le même optimisme
qu’une classe est productive à 90%. Nos 12 heures annuelles deviennent donc un
peu moins de 11 onze heures. Cependant, ce calcul fait abstraction de votre
temps de parole à vous, l’enseignant. En bons défenseurs d’une pédagogie active
où le professeur guide davantage qu’il n’enseigne, soyons généreux et imaginons
que l’enseignant se réserve seulement un quart du temps d’instruction et laisse
les trois quarts restants aux élèves. Nous en sommes donc à 11 heures fois 75%,
c’est-à-dire à peine plus de 8 heures. Ensuite, vous n’avez probablement pas pour
objectif unique l’expression orale et vous souhaitez également consacrer du
temps à l’expression écrite, la compréhension orale et la compréhension écrite.
Il faut donc refaire le calcul en divisant le résultat obtenu par les 4
compétences linguistiques que vous voulez développer, soit 8heures divisées par
4 : 2 heures...
Cette petite démonstration toute simple n’a qu’un seul
but ; rappeler à l’enseignant mais surtout à l’étudiant, aux parents et à
l’administration de votre établissement qu’une classe de langue accorde à
chaque étudiant 2 petites heures annuelles de participation dans chacune des
compétences langagières, ce qui signifie qu’une instruction efficace doit
impérativement s’accompagner d’une prise en charge autonome - et hors classe -
par l’étudiant. C’est dans ce contexte que l’approche actionnelle s’inscrit en
méthodologie non seulement souhaitée mais aussi nécessaire. Appelée également
« pédagogie par tâches », l’approche actionnelle encouragée par le
CECR[1]
aide l’enseignant à rentabiliser au maximum le temps d’instruction à l’école et
incite l’étudiant à compenser ce temps d’instruction scolaire par un travail
autonome à la maison. Selon la jolie formule de Dominique Le Ray[2],
il s’agit « d’apprendre à agir » et « d’agir pour
apprendre ». En d’autres termes, l’apprentissage d’une langue va bien
au-delà de l’acquisition statique du lexique et de quelques notions de
grammaire ; il s’inscrit dans un besoin de communication dans le but
d’accomplir une tâche. L’accent sur le communicatif a été privilégié dans
les méthodes de langues dès les années ’70, en réaction à une approche
structuro-globale jugée trop rigide et peu authentique. Cependant, le
« tout au communicatif » a frustré plus d’un enseignant et d’un
étudiant qui se demandaient l’un et l’autre à quoi aboutissait vraiment cette
communication confinée dans la salle de classe et donc bien souvent réduite à
une simulation, parfois simple prétexte à une ré-exploitation déguisée du
lexique et de la grammaire. L’approche actionnelle essaie de répondre au défi
que constitue d’emblée une classe de langue : comment donner du sens à une
interaction en langue-cible opérée par des apprenants qui, peut-être, ne
quitteront jamais leur pays et n’auront donc pas l’occasion de communiquer avec
des « natifs » de cette langue ? La réponse est simple : il
faut que la langue devienne un outil et non un objet d’étude. En d’autres
termes, il ne s’agit pas d’entraîner l’élève à exprimer une série d’hypothèses
pour pouvoir pratiquer le conditionnel en français mais d’enseigner les
rudiments du conditionnel pour permettre à l’élève d’accomplir une tâche donnée.
Les tâches, qui constituent l’essence de l’instruction, sont de deux
types : les micro-tâches où l’apprenant s’exerce à identifier, imiter puis
diversifier des énoncés répondant à un objectif précis (désir, besoin,
argumentation, émotion...) et la tâche finale, celle qui conclut l’unité
d’apprentissage et au cours de laquelle l’élève réinvestit ce qu’il a
appris : le degré de réussite dans l’accomplissement de la tâche définit
le degré de compétence atteint par l’apprenant.
Prenons un cas concret emprunté à
« Rond-Point »[3],
une des premières méthodes FLE se revendiquant de l’approche actionnelle. Dans
l’unité « Ça sert à tout » (niveau A2 du CECR), l’élève analyse une
série de documents pour se forger une idée de la manière dont on décrit un
objet utilitaire et ses fonctions en français. A la fin de l’unité, après avoir
été engagé dans une série d’activités signifiantes (toute activité invitant à
agir est jugée « signifiante »), l’élève accomplit la tâche finale.
On lui propose une série de petits problèmes de la vie quotidienne susceptibles
d’être résolus par une nouvelle invention. Par exemple, les gens portant des
lunettes n’aiment pas cuisiner car la buée sur les verres est ennuyeuse !
Il appartient à un groupe d’élèves de parer à ce problème en concevant le
schéma d’une invention qui mettra fin au tourment de la cuisinière à
lunettes... Chaque groupe présente son invention en décrivant ses caractéristiques
et son fonctionnement. Si les élèves constituant le public ont bien compris à
quoi ressemble et à quoi sert l’objet présenté par leurs camarades, c’est que
ces derniers ont réutilisé de manière satisfaisante le bagage linguistique
faisant l’objet de l’unité.
Pour conclure : une des manifestations les plus
remarquables de l’approche actionnelle est illustrée par le projet pédagogique[4]
entrepris par les participants à la Revue du Monde animée par les enseignants
aussi bien que les élèves. Les élèves participants se servent de la langue pour
agir, qu’il s’agisse de s’informer sur les cultures auxquelles ils
s’intéressent ou de livrer à leurs interlocuteurs des informations sur leur
propre culture. Voilà un exemple où l’utilisation de la langue prend place bien
au-delà des quatre murs de la classe pour répondre à des objectifs clairement
désignés dans des situations de communication authentiques. Le temps de classe,
dont on a vu dans l’introduction de cet article qu’il était extrêmement réduit,
se voit valorisé par une rentabilisation maximale où l’apprenant prend en
charge son apprentissage mais aussi par un prolongement des activités en dehors
du cadre scolaire. L’approche actionnelle se veut utile autant qu’utilitaire
puisqu’elle peut déboucher sur des projets interdisciplinaires et
interculturels, comme l’atteste l’expérience de la Revue du Monde. Comme
l’explique Christian Rodier[5],
le passage de l’approche communicative à l’approche actionnelle illustre un
changement radical de perspective où l’usager de la langue est pensé en termes
d’acteur social et non plus d’apprenant.
[1] Cadre européen commun de référence pour
les langues
[2] L’approche actionnelle, Domi’s Web, http://domisweb.free.fr/cadre/index.php/tasks/index
[3] Rond Point 2, Difusión, 2004
[5] La perspective actionnelle : évolution ou révolution ?, Christian
Rodier, http://www.edufle.net/La-perspective-actionnelle.html